Du nihilisme (2/3)

  • Peathryn Loat
  • pratique

Chapitre deuxième : De la légèreté.

Face à la lourdeur vient en contrepoint la volonté tacite d’assurer des rapports sociaux permettant la construction d’une entente durable entre les participants. Le contrat social qui lie les rôlistes ne se constitue pas seulement autour d’une table, il existe au sein d’un milieu, d’un environnement, d’un écosystème dans lequel le beauf, bien que toléré, est montré du doigt, moqué et craint. La douceur d’une part non négligeable des membres de la communauté n’est plus à démontrer. Chacun offre une lecture assez charitable des positions de chacun, amène des sujets de conversations légers et use d'humour codé pour dédramatiser constamment les choses et assurer un ton léger. Il faut accepter les idées des autres, se montrer tolérant, s’ouvrir à la diversité car les spécificités de chacun sont une richesse pour la communauté qui doit se fédérer face à l'adversité. Sauf qu'internet a valorisé les conduites communautaires, permettant à chaque enfant gâté de renvoyer de sa liste de contacts ceux qui désapprouvent l’idéologie dominante du coin, s’assurer non seulement la validation de sa projection narcissique tout en créant un espace de sécurité. Et s’il y a des allergiques légitimement révoltés par la lourdeur de certains, il en est d’autres qui couinent comme des musaraignes à l’approche de celui qui leur fera respirer son haleine de gros chat facétieux.

Et les voilà tous, gesticulant, se réunissant en cercles sécurisés pour discuter des modalités d’une révolution en marche, de ce qui leur permettra de faire un pas ou deux dans le domaine merveilleux de la vie. Il faut parler doux, afficher un caractère léger, exposer de la gentillesse, de bons sentiments et des gestes charitables. Ils ne s’abandonneront pas, se crient les peureux pour se préserver, éviter le malaise et la blessure. Ils haïssent la vulgarité des oppresseurs et exaltent les vertus d’un contrat social où le groupe peut s’élever vers des hauteurs insoupçonnées pour que tous puissent à la fin chanter sous la pluie au terme de leur thérapie de groupe. Un troupeau de hérissons travaillant à éviter tout frottement non consenti et remuant le museau humide avec panache et fierté dès qu’ils ont mis le doigt sur ce qui leur fait mal : la violence des financements participatifs de masse, la férocité implacable des éditeurs de grande échelle, les mots blessants des salopards qui décrivent une armée de chevaliers sans sa moitié de Bradamantes, ces pornographes qui dénudent un fessier dodu dont la fonction première est bien entendu l’assise plus confortable en cas d’absence de coussin.

Qu’on ne se méprenne pas. Ces fiers chevaliers qui auraient fait trembler des empereurs oppressifs en leur temps ne font pas qu’ostraciser les faquins osant émettre un jugement complaisant à l’égard de Napoléon Premier. Ils revendiquent leurs ardeurs face à la lourdeur des demeurés libidineux en élevant spirituellement la teneur de leur pratique. Après tout, il y a bien une alternative à la bêtise de ceux qui ne jouent que pour pousser le dé et gober la bière en se moquant du gobelin lorsque celui-ci subit le double de ce que son fondement verdâtre peut encaisser. Il faut jouer avec le recul nécessaire à l’établissement d’un regard en surplomb, toujours à l’affût de la moindre aspérité qui pourrait imposer aux autres l’insupportable.

Le beauf imposait l’étalon de sa sueur odorante, le superficiel impose, lui, la dictature du plus petit dénominateur commun. C’est celui qui en supporte le moins qui enjoint les autres à descendre à son niveau avec le voile illusoire d’une profondeur réflexive renforcé par le mirage d’un discours intellectualisant mais dont la portée des concepts n’est que descriptive.

Ainsi avance une intention pernicieuse cachée derrière un masque de douceur et un ton généreux : structurer les pratiques par des contrats sociaux collectivistes où le groupe entier sera à chaque instant tourné vers la défaillance qu’il s’agit de combler en maternant. La légèreté est la consolation infantile des âmes blessées et complaisantes avec elles-mêmes. Mais tous les groupes sociaux à petite échelle prennent en compte la souffrance, la difficulté et le conflit. Tout contrat social régule les échanges et les transactions de manière à pacifier les rapports politiques dont la violence est atténuée par les vertus des modalités économiques. Et lorsque cette vie sociale est attaquée par ce que Pasolini appelle un fascisme immanent dans ses Lettres luthériennes, il appartient à chacun de se rappeler les mots de Schopenhauer, à savoir que la blessure est une nécessité à l’avancée intellectuelle, qu’il n’y a pas de pensée sans choc et sans mauvaise rencontre, et que de rapports frontaux tacitement consentis découle l’élévation individuelle.

L’espace sécurisé est l’éteignoir de l’esprit et l’assurance d’engendrer une étendue de superficialité en déguisant celle-ci derrière un langage construit, une novlangue qui endort doucement les consciences pour gommer les différences, réconcilier les cœurs jusqu’à la grande fusion communautariste dans le liquide amniotique de la mère dévorante. Les murmures des moutons qui ont renoncé à bêler se diffusent sous la bienveillance pervertie de quelques idéologues portés aux nues par la constitution tragique d’une démocratie contre laquelle Tocqueville nous avait pourtant mis en garde.

Nihilisme étouffant.

G
bon, quand est-ce qu'on joue ensemble?
Répondre
Si vous avez un Discord, ça peut se faire, on monte une table Degenesis en remote.
Diégèse et dragons -  Hébergé par Overblog